Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles
Les débats en appel dans le procès de l'amiante, qui oppose la famille Jonckheere à l'entreprise Eternit ont débuté le 3 janvier devant la cour d'appel de Bruxelles. Des délégations d’associations de victimes étaient venues de France et d’Italie affirmer leur solidarité.
Il faisait encore nuit le 3 janvier, quand une cinquantaine de personnes se sont rassemblées devant le Palais de Justice de Bruxelles, à la lueur de grosses bougies. L’Abeva, l’association belge de défense des victimes de l’amiante, avait appelé à ce rassemblement à l’occasion du procès de la famille Jonckheere contre Eternit, la multinationale de l’amiante-ciment.
Pour l’Andeva, des adhérents de l’Addeva 93 avaient fait le voyage en train et en voiture. Le Caper Bourgogne (Eternit Vitry-en-Charollais) et le Caper Eternit Caronte avaient envoyé des messages de solidarité ainsi que le Caper Ardèche.
Eric Jonckheere est intervenu pour expliquer les enjeux de ce second procès.
La presse écrite et audiovisuelle était très présente.
« Je suis Françoise »
Une affiche « Je suis Françoise » était brandie par de nombreux participants, qui rendaient ainsi hommage au formidable courage de Françoise Jonckheere, mère d’une famille de 5 enfants, qui, la première a osé dire Non à Eternit.
Pierre, son mari, était ingénieur dans la grande usine de Kapelle-op-den-Bos. La famille habitait tout près de l’usine. En 1987, Pierre mourut d’un mésothéliome. En 1990, Françoise, qui lavait ses vêtements de travail et était exposée comme toute la famille aux poussières rejetée par l’usine, fut à son tour atteinte. Comprenant qu’Eternit dissimulait les dangers de ce matériau cancérogène non seulement pour les salariés, mais aussi pour leur famille et les habitants du voisinage, elle fit passer des examens à ses cinq fils. Tous avaient de l’amiante dans les poumons.
Eternit lui proposa d’acheter son silence en échangeant un chèque de 42000 euros contre un engagement à renoncer à poursuivre l’entreprise en justice. Elle refusa, engagea une action judiciaire contre Eternit et créa l’Abeva, l’association des victimes de l’amiante en Belgique.
Après son décès en 2000, la tragédie familiale continua : deux de ses fils, Pierre-Paul et Stéphane furent à leur tour emportés par la même maladie, le premier en 2003, le second en 2006.
Ses trois fils survivants reprirent le flambeau et continuèrent la bataille contre la multinationale de l’amiante-ciment.
28 novembre 2011 : « la victoire du pot de terre contre le pot de fer »
Onze ans après le dépôt de la plainte, la justice belge leur a donné gain de cause. Le jugement rendu le 28 novembre 2011 par le tribunal civil de Bruxelles, a eu des mots très durs pour qualifier la faute commise par Eternit, dénonçant « le cynisme incroyable avec lequel des connaissances scientifiques ont été balayées par appât du gain ». Les juges ont estimé que l’entreprise « a tiré un profit personnel de ses efforts pour minimiser et dissimuler les dangers de l’amiante et de ses interventions pour bloquer l’adoption légale de mesures de protection de la santé publique. »
Ils ont condamné Eternit à verser 250.000 euros aux survivants de la famille Jonckheere. La direction a fait appel.
3 janvier 2017 : Eternit revient à la charge
Sur demande d’Eternit, l’audience se déroule en néerlandais. Un magistrat résume l’état du dossier. Puis intervient l’avocat d’Eternit.
Il explique que l’entreprise n’a commis aucune faute et qu’en tout état de cause elle ne saurait être condamnée puisque le dossier est prescrit. Ses arguments - déjà développés 6 ans plus tôt en première instance - sont un mélange de contrevérités et de casuistique juridique : A l’en croire, les fibres qui ont contaminé Françoise provenaient bien de l’usine Eternit, mais l’entreprise a respecté les lois d’une époque où personne ne savait qu’à faibles doses l’amiante pouvait être dangereux. Il ne nie pas qu’elle ait été exposée pendant plusieurs décennies à l’amiante, mais soutient que seules les les années antérieures à 1970 durant lesquelles on manipulait encore « l’amiante bleu » [l’amosite] doivent être prises en compte. Il en conclut que même si - par extraordinaire – le tribunal admettait une once de responsabilité pour Eternit, il ne saurait condamner l’entreprise, car le délai de prescription est dépassé. Il juge exorbitante la somme de 250 000 euros accordée par les magistrats en première instance et y voit la preuve qu’ils ont été influencés l’activisme médiatique de l’Abeva. Selon lui, une somme de 7000 euros serait bien suffisante. Le prix d’une vie humaine selon Eternit…
Yann Fermon, l’avocat de la famille Jonckheere qui porte ce dossier depuis 17 ans, prend à son tour la parole.
Il restitue d’abord étendue de la tragédie humaine qui a décimé cette famille. Il démontre, preuve à l’appui, que dès 1964, Eternit ne pouvait pas ignorer le danger des expositions para-professionnelles et environnementales à l’amiante et qu’il a volontairement minimisé le danger en menant un intense travail de lobbying pour continuer à faire de l’argent avec ce matériau mortel. Il rappelle que l’amiante blanc (Chrysotile) et l’amiante « brun » sont, eux aussi cancérogènes. Il montre comment la maladie résulte non pas de l’inhalation des seules « premières fibres », mais d’un processus d’accumulation et de circulation des fibres dans l’organisme majorant, année après année, le risque de survenue d’une pathologie. Françoise a été victime d’une exposition intrafamiliale et environnementale à l’amiante d’Eternit qui a duré de 1952 à 1991, date à laquelle elle a déménagé. Le point de départ du délai de prescription doit reposer non sur des suppositions ou des hypothèses mais sur la seule date certaine : celle de la fin d’exposition. Le dossier n’est donc pas prescrit.
14 Mars 2014 : la Cour d’appel rendra son arrêt
Une confirmation du jugement de première instance aurait un impact considérable sur la jurisprudence. Les questions soulevées à l’audience (délai de prescription, mode de contamination, évolution des connaissances scientifiques) ne sont pas propres à Eternit. Elles peuvent concerner des milliers de victimes professionnelles et environnementales de l’amiante ou d’autres produits à effet différé (cancérogènes, mutagènes ou toxiques pour la reproduction).
La direction d’Eternit en est consciente et se prépare à aller en cassation si le 14 mars, l’arrêt de la cour d’appel lui est défavorable.
La mobilisation du 3 janvier, largement médiatisée dans les médias francophones et néerlandophones en Belgique, a été un succès. Le 14 mars la solidarité avec la famille Jonckheere aura un nouveau rendez-vous au Palais de Justice de Bruxelles.