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Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles

Les fantômes bleus de Wittenoon.

C’est une histoire des antipodes. Une histoire comme on aurait du mal à en imaginer sous nos latitudes domestiquées.

Cela se passe dans l’est de l’Australie, dans la ville presque fantôme de Wittenoon, à environ 300 kilomètres au sud-est de Karratha. C’est un très bel endroit qui bénéficie du voisinage du parc national de Karijini, l’une des destinations touristiques les plus spectaculaires de l’Etat.

Mario, immigré autrichien,  y a emménagé en 1992, juste après que l’état australien ait fait démolir 70 maisons, et peu de temps avant la fermeture du poste de police, du motel, de la station-service, du pub et de l’aéroport.

Peter a emménagé en 1993, parce qu’il trouvait l’endroit joli…

Lorraine est arrivée en 1973. Elle est aujourd’hui le deuxième propriétaire foncier de la ville après l’état. Elle y possède  neuf propriétés. Elle reconnait elle-même que leur valeur est probablement nulle. « J’ai investi toutes mes économies dans ce lieu », dit-elle. « Je n’ai nulle part ailleurs ou- aller ».  

Ce sont les trois derniers habitants permanents de cette ville qui en a compté jusque 20 000. Trois irréductibles qui refusent encore et toujours de quitter une terre qui les empoisonne à petit feu depuis des décennies. Plus grave, leur présence retarde les travaux qui permettraient de rendre la ville un peu  moins dangereuse pour les trop nombreuses personnes qui la traversent encore.

« Wittenoon est un piège mortel et plus tôt les gens en sortiront, plus tôt nous pourrons la nettoyer » a déclaré Robert Vojavik, président de la Société des maladies de l’amiante, ancien résident et mineur, et qui confie avoir vu ses anciens collègues « tomber comme des mouches ».  

Robert Vojavik, président de la Société australienne des maladies de l’amiante.

Robert Vojavik, président de la Société australienne des maladies de l’amiante.

Robert a débarqué à Wittenoon dans les années 50 en tant qu’ouvrier croate, alors que la mine était exploitée à large échelle depuis une dizaine d’années. La mine produisait alors de l’amiante bleu, la crocidélite, de la famille des Amphiboles. La plus dangereuse.

Les premières traces d'exploitation sont pourtant bien antérieures puisqu’elles remontent à 1936, lorsque le prospecteur Lang Hancock et son partenaire Peter Wright ont investi les lieux. Plusieurs particuliers leur ont succédé jusqu’au rachat du site en 1943 par la Colonial Sugar Refining Company. C’est elle qui a ouvert la mine Colonial en 1953, celle dont les résidus présentent les plus grands risques. 

Le minerai était tellement facile d’accès qu’il suffisait de gratter sur quelques centimètres pour le faire apparaitre. De là vient l’apparence bleutée des collines. Lorsqu’il pleuvait, les fibres glissaient vers la rivière qui en prenait la teinte. Lorsque le vent soufflait fort, les fibres se dispersaient dans les alentours. Les tempêtes elles-mêmes se transformaient en tornades bleues, dispersant les mortels résidus à des dizaines de kilomètres à  la ronde.

La ville avait été créée en 1947 à la demande des mineurs pour abriter leur main d’œuvre. Voisine de la mine à ses débuts, elle a ensuite été déplacée de quelques kilomètres à mesure qu’elle grossissait en population.

Les fantômes bleus de Wittenoon.

On avait été jusqu’à recouvrir d’amiante une plage sur laquelle les enfants venaient jouer quotidiennement. Des résidus ont été utilisés dans toute la région comme matériaux de remplissage et de construction ; pour les routes, les pipelines, les terrains de golf, les cours d’écoles et bien d’autres infrastructures. Leur utilisation pour la piste d’aéroport créait autour du site une brume bleue permanente. Les mineurs eux-mêmes ramenaient à la maison des fournées d’amiante bleu à la texture duveteuse dont ils garnissaient leurs propres matelas.

Deux enfants, David et Bronwyn Jones, après avoir joué dans des résidus d'amiante, près de leur maison de Wittenoon. David est décédé d'un mésothéliome en  2006, à l'âge de 48 ans. (photo : Jones family) 

L’autre « vallée de la mort ».

Le premier à mettre en garde contre les méfaits de l’amiante à Wittenoon a été le professeur Eric Saint, médecin hygiéniste du gouvernement. C’était en 1948. Durant de nombreuses années, il a essayé d’alerter sur les risques encourus.  

C’est ensuite Jim Mc Nulty, médecin de mines du département de la santé, qui a visité le site en 1959 et fait part de ses inquiétudes pour la santé des résidents et des mineurs. Il a rapporté le premier cas australien de mésothéliome chez un ancien ouvrier de Wittenoon. Plus tard, il est devenu commissaire à la santé publique de 1978 à 1984 et a contribué aux futures décisions « d’élimination » progressive de la ville.     

C’est finalement pour des raisons économiques que l’extraction de l’amiante de Wittenoon a pris fin en 1966. Puis les habitants ont reçu des messages du gouvernement leur conseillant de quitter les lieux sans attendre. A la fin des années 70, le gouvernement a commencé à fermer la ville et tous les services publics ont été abandonnés. Celle-ci est cependant restée ouverte pour trois décennies supplémentaires, servant de destination touristique de premier plan et continuant d’accueillir des courses de chevaux annuelles et d’autres évènements.    

Les habitants ont beaucoup résisté mais la ville s’est peu à peu vidée, à tel point qu’on a fini par y compter davantage de kangourous que de résidents.

L’électricité a été fermée en 2006 et les habitants restants ont dû installer des générateurs privés. En 2007, Wittenoon a été officiellement effacée des cartes et des panneaux routiers afin que nul n’ait la curiosité de s’y rendre.

Une ville effacée des panneaux routiers !

Une ville effacée des panneaux routiers !

La ville a été condamnée en 2008 et intégrée dans une zone contaminée de 470 kilomètres carrés qui, selon les termes, « ne convient à aucune forme d’occupation humaine ou d’utilisation des terres ». La zone est trop vaste pour être bloquée mais le gouvernement envisage d’autres options pour fermer l’accès aux sites miniers et aux gorges Wittenoon.

Les touristes sont activement découragés de visiter la région. On leur distribue un document qui explique ce qu’est un mésothéliome. Aujourd’hui encore, le ministère des Gouvernement locaux et du Développement régional fait régulièrement décoller un avion qui avertit les gens de ne pas se rendre à Wittenoon. « Visiter Wittenoon ne vaut pas le risque de votre vie » clame le message qu’il fait circuler dans les airs.   

Les fantômes bleus de Wittenoon.

Le fond de la rivière Fortescue restera encore longtemps tapissé de bleu. Les pluies saisonnières qui s’écoulent des gorges et creusent des canaux dans le flanc des collines viennent remplir les ruisseaux de résidus bleus gris avant de se diriger vers les plaines inondables.  

On estime que 165 000 tonnes d’amiante bleu ont été extraites de la montagne avant d’être exportées vers le reste du pays.

Les chiffres les plus pessimistes annoncent près de 3000 mésothéliomes déclarés parmi les anciens résidents de Wittenoon, mais ils ne tiennent pas compte des anciens mineurs repartis dans leurs pays d’origine. On considère que 25% de ceux qui ont travaillé à la mine mourront au final d’une maladie de l’amiante.

Malgré cela, les trois irréductibles s’acharnent. Peter, sans doute le plus cynique, prétend que la réputation dangereuse de la ville ne le pousse qu’à l’en aimer davantage. Mario pense que les dangers sont surrestimés et qu’ils concernent surtout la zone proche de la mine, 8 kilomètres plus loin. Il ajoute qu’il ne pourrait pas prétendre ailleurs à un style de vie aussi satisfaisant s’il devait déménager. Lorraine conteste également que la ville soit dangereuse. En tout cas, pas plus que le reste de la région du Pilbara, dit-elle. Elle considère que l’amiante a sauvé beaucoup de vie par ses propriétés et que si on doit parfois en mourir, et bien c’est comme ça…

Pour le cinquantième anniversaire de la fermeture de la ville, le ministre du territoire Terry Redman a annoncé qu’il présenterait une loi pour acquérir de force les 21 propriétés encore privées de Wittenoon et qu’il fermerait la ville pour de bon. Redman a déclaré que cette législation serait spécifique à Wittenoon.

 

Greg DeLeuil, notre ami des antipodes. 

C'est à lui que nous devons cette histoire. Nous l'avons rencontré en juillet 2017 à Manchester à l'occasion de la conférence sur l'amiante organisée par les associations anglaises.

Greg a exercé la profession de médecin militaire, activité qui l’a mis très tôt en contact avec des victimes contaminées sur les navires de guerre.

Cette sensibilité au problème de l’amiante a été fortement influencée par le décès de sa mère. Celle-ci avait contracté un mésothéliome du fait de l’amiante présent dans sa maison. C’est malheureusement un cas  trop répandu en Australie ou l’amiante a été utilisé lors de la construction de nombreuses maisons individuelles.

Malgré son âge respectable – Greg a passé les 80 ans – il n’hésite pas à parcourir le monde pour donner des conférences sur les dangers de l’amiante.    

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