Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles
LE PENAL
La table ronde sur le pénal fut l’une des plus riche de cette journée. Animée par François DESRIAUX, elle réunissait Marie-Odile BERTELLA-GEFFROY, ancienne juge d’instruction en charge du dossier amiante au pôle de santé publique de Paris, Rafaelle GUARINIELLO, ancien procureur de Turin en charge du dossier Eternit, Christian HUTIN, député du nord et Président du groupe parlementaire amiante à l’Assemblée nationale, ainsi que nos avocats Jean Paul TEISSONNIERE et Michel LEDOUX.
Michel LEDOUX est revenu sur l’historique de l’affaire de l’amiante, à partir de la plainte pour homicide involontaire contre les industriels de l'amiante, les décideurs politiques et les lobbyistes du CPA.
Il a évoqué l’annulation des mises en examens dans le dossier de Condé-Sur-Noireau où ne restent plus mis en examen que les chefs d’établissements. Le médecin du travail de Condé, Claude RAFFAELI est devenu un simple témoin assisté alors qu’il était mis en examen pour non assistance à personnes en danger. Et des non-lieu en série risquent de tomber, sous prétexte qu’il est impossible de dater la contamination et donc d’imputer la faute à quiconque.
Jean Claude BARBE, ancien de Valéo ; est intervenu depuis la salle pour dire l’indignation des nombreuses victimes de cette région devant ces incompréhensibles décisions de justice.
Jean Paul TEISSONNIERE a évoqué le procès Amisol. C’est le dossier le plus ancien. La lutte a commencé dans les années 70. Après plusieurs ordonnances de non-lieu et trois pourvois en cassation, on ignore toujours quelle sera l’issue. Des difficultés juridiques et politiques se sont accumulées.
Le dossier pénal des suicides causés par des méthodes de management destructrices à France Telecom a avancé beaucoup plus vite. Les faits se sont produits pendant la phase de privatisation et il a été prouvé que les dirigeants avaient pour objectif de faire partir les personnels à tout prix ! Mr Lombart, le PDG, a été mis en examen. Cela prouve que les choses avancent quand la justice fait son travail. Pourquoi de tels obstacles pour l'amiante?
Marie Odile BERTELLA-GEFFROY est restée dix ans au pôle judiciaire de Santé publique, ce qui l’a amenée à intervenir sur de nombreux dossiers : le sang contaminé, l’hormone de croissance, Tchernobyl, la légionellose, la vache folle et, bien sûr, l’amiante.
Sur le dossier de l’amiante, elle estime qu’il y a un frein de nature politique. La volonté n’est pas de faciliter l’instruction mais de tout faire pour l’empêcher.
Dans le dossier pénal du harcèlement moral à France Telecom, les politiques ne sont pas impliqués directement, alors que leur responsabilité est engagé dans les affaires de santé publiques.
En Italie, la justice semble plus indépendante et le procureur Guariniello a eu les moyens humains et financiers pour mener l’instruction des dossiers à terme.
Elle considère comme une aberration la motivation d’un non lieu par l’impossibilité à dater l’intoxication, alors que c’est une période de contamination qui doit être prise en compte.
Raffaele GUARINIELLO a indiqué que l'affaire de l’amiante en France et en Italie racontent des histoires différentes mais qu’elles ont néanmoins certaines similitudes.
En France, il n’y a pas eu de procès pénal. En Italie des industriels ont été déclarés coupables d’homicides en première instance et en appel. La Cour de cassation a jugé les dossiers prescrits, mais pas remis en cause leur culpabilité.
En Italie, le Ministère public est indépendant du pouvoir politique et il a l’obligation d’engager des actions pénales.
Il y a aussi des difficultés en Italie : la Cour de cassation a changé de cap en 2017. Dans ses arrêts du 3 février 2017 et du 5 juin 2018, la société Pirelli a été acquittée avec une décision de non-lieu. C’est un contraste radical avec les sept arrêts précédents.
Le procureur de Turin considère qu’il faudrait en Italie une organisation judiciaire analogue au pôle de Santé publique, à condition qu’elle soit véritablement indépendante vis-à-vis du pouvoir politique. L’engagement de poursuites judiciaires à l’initiative des procureurs doit être une obligation et non une question d’opportunité.
Par ailleurs, les juges devraient suivre l’évolution des connaissances scientifiques et vérifier l’impartialité des experts, notamment l’absence de conflit d’intérêt.
Enfin, il faut voter une loi précisant qu’ un dossier pénal lié à l’utilisation d’un produit dangereux ne saurait être frappé de prescription tant ce produit continue à causer de nouvelles victimes. Cela rendrait impossible une décision de non-lieu comme celle qu’a rendue par la Cour de Cassation italienne dans le dossier Eternit qu’elle a jugé prescrit.
Christian HUTIN considère que si la loi empêche de poursuivre les auteurs d’une catastrophe sanitaire, il faut changer la loi.
Selon lui, le climat politique actuel n'est pas favorable pour obtenir des avancées pour les victimes. Il évoque les dangers de la loi sur le secret des affaires qui transpose une directive européenne du 14 avril 2016. Son but proclamé est de protéger les entreprises contre l’espionnage industriel. En fait, elle fait peser la menace d’une sanction financière sur les lanceurs d’alertes et les journalistes. Le Conseil constitutionnel a été saisi sur cette loi le 26 juin dernier.
Sera-t-il possible de débloquer la situation sur le pénal dans les années à venir ? Il estime que dans l’immédiat le rapport de force actuel ne le permet pas. Pour l'instant le message adressé par les autorités aux victimes : c'est « mourrez tranquillement braves gens et le combat cessera faute de combattants ! » La jeune génération saura-t-elle s’emparer de la question de l’amiante ? On doit l’espérer. Le problème de l'amiante dans les écoles sera peut-être l'élément mobilisateur des jeunes générations.