Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles
Les experts de la santé au travail François Desriaux et Philippe Karim Felissi déplorent, dans une tribune au « Monde » du 29 avril 2020, la décision du gouvernement d’allouer l’indemnisation pour maladies professionnelles aux seuls soignants, et non à tous les salariés tombés malades en restant à leur poste.
On peut applaudir les soignants tous les soirs à 20 heures, louer, à chaque intervention présidentielle, l’engagement des caissières, des policiers ou encore des auxiliaires de vie dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) et les services d’aide à domicile, et « en même temps » ne pas assumer le devoir de reconnaissance de la Nation lorsque cet engagement tourne mal.
En déclarant devant l’Assemblée nationale que seuls les soignants pourraient bénéficier d’une indemnisation automatique au titre des maladies professionnelles s’ils ont été malades du Covid-19, le ministre de la santé, Olivier Véran, a adressé un véritable « bras d’honneur » aux « soldats » de la République, en première ligne dans la lutte contre la pandémie (voir « Questions au gouvernement », vidéo de l’Assemblée nationale).
Cette décision du gouvernement va laisser sur le bord du chemin tous les salariés et les agents qui auront été contaminés par le Covid-19 et qui auront des séquelles ou qui en seront morts, mais qui ne font pas partie de la catégorie des soignants. Pourtant, eux aussi n’auront pas démérité et auront largement contribué à la survie de la population, en lui permettant de s’alimenter, d’avoir de l’électricité et de l’eau, d’assurer leur sécurité, ou encore de bénéficier de services publics essentiels.
Leur abnégation est d’autant plus méritoire qu’ils sont montés au front, souvent sans l’équipement minimal de protection contre le Covid-19 et en étant très mal informés de la réalité du risque et des moyens de s’en protéger. Pour faire valoir leurs droits et obtenir une indemnisation en cas de contamination entraînant des séquelles, ils devront engager une procédure longue et incertaine devant les caisses de Sécurité sociale, puis devant le tribunal judiciaire social, et démontrer que c’est bien au travail qu’ils ont été contaminés.
Un barème défavorable
La tâche sera ardue, pour ne pas dire impossible, car le virus ne s’annonce pas quand il frappe, ne laisse pas de carte de visite disant que c’est pendant le travail ou à l’occasion de ce dernier qu’il a contaminé Aïcha, caissière dans un supermarché, Gérard, gardien de la paix, ou Geneviève, aide à domicile.
Même pour les soignants, la décision du gouvernement est d’ailleurs loin de constituer une aubaine. Certes, s’ils bénéficieront de la présomption d’imputabilité et n’auront donc pas à établir ce lien de causalité entre leur travail et la maladie, l’indemnisation sera loin, très loin, de couvrir l’ensemble des préjudices qu’ils auront subis. Ils ne percevront qu’une indemnisation forfaitaire, qui sera fonction du taux d’incapacité permanente partielle résultant des séquelles de la maladie et de leur salaire ou traitement.
Exit tous les préjudices classiquement réparés par les tribunaux, dans le cadre, par exemple, d’un accident de la circulation, comme le préjudice moral, les souffrances endurées, ou encore le préjudice économique résultant de la perte d’emploi. Les salariés qui viendraient à être licenciés pour inaptitude médicale à cause des séquelles d’une réanimation longue (séquelles respiratoires, rénales ou cardiaques…), vont devoir affronter de sérieuses difficultés.
Quant à l’indemnisation de l’incapacité, il faut savoir que le barème utilisé pour fixer le taux est le plus défavorable de tous les barèmes en France, et que le mode de calcul retenu divise par deux les revenus de la victime. Certes, comme cela a été annoncé, 100% des frais médicaux seront pris en charge. Mais le ministre s’est bien gardé de préciser que ce serait sur la base des tarifs opposables des régimes de sécurité sociale.
Prise en charge indigne
Les restes à charge, élevés dans nos régimes de protection sociale obligatoire, devront être acquittés par la victime elle-même ou par sa mutuelle si elle a la chance d’en avoir une. Enfin, pour les agents et les salariés morts du fait de l’infection, leurs ayants droit ne percevront eux aussi qu’une indemnisation forfaitaire et risquent de se trouver dans une situation sociale et économique difficile.
Cette description sombre de la prise en charge indigne à laquelle le ministre condamne les victimes professionnelles du Covid-19, c’est le quotidien des victimes des risques professionnels, de leurs associations de défense ou des organisations syndicales.
Les personnels soignants vont donc faire l’expérience de lois et des textes réglementaires d’un autre siècle. La réparation des conséquences des accidents du travail et des maladies professionnelles a été mise en place par une loi de 1898, totalement dépassée au regard des progrès des autres dispositifs de réparation des dommages corporels.
C’est pour ces raisons que des associations de victimes et des organisations syndicales ont demandé que cette prise en charge des personnes contaminées par le Covid-19 dans un cadre professionnel, se fasse, comme pour l’amiante, à travers un fonds spécifique. Le gouvernement avait aussi la possibilité, par une ordonnance, de confier à une commission d’indemnisation la mission de réparer intégralement les victimes avec des conditions d’éligibilité simples et compréhensibles par tous. Celles-ci pouvaient se résumer à une exposition répétée au grand public durant la période de crise sanitaire.
Eviter des milliers de procédures judiciaires
La mise en place de dispositifs distinctifs, justifiée par des spécificités ou des circonstances exceptionnelles, ou encore par une technicité particulière, n’est pas nouvelle dans notre pays qui a créé l’Office national d’indemnisation des accidents médicaux (Oniam), le Fonds d’indemnisation des victimes de l’amiante (FIVA), le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d’autres infractions (FGTI), le Fonds de garantie automobile (FGA).
Les pouvoirs publics pouvaient donc créer une structure spécifique ou s’appuyer sur l’une de ces structures existantes. Ce fonds ou cette commission pouvait être alimenté par la branche accidents du travail-maladies professionnelles de la Sécurité sociale (la seule qui soit largement excédentaire au sein de la Sécurité sociale) et par l’Etat pour ses fonctionnaires.
C’eût été un moyen à la fois d’affirmer que l’Etat n’allait pas laisser tomber ses combattants et d’éviter les milliers de procédures judiciaires qui ne vont pas manquer d’encombrer les tribunaux et compliquer les relations sociales au sein des entreprises, des hôpitaux et de la fonction publique.
Chacun devra rendre des comptes sur la façon dont il a protégé son personnel. Assurément cela laissera des traces, voire accentuera les fractures de la société, entre ceux qui n’avaient d’autre choix que de monter au front et ceux qui pouvaient télétravailler ou rester confinés. Les lendemains d’après pandémie risquent d’être douloureux lorsque cesseront les applaudissements.
François Desriaux (Rédacteur en chef de « Santé et Travail » et vice-président de l’Andeva).
Philippe Karim Felissi (Avocat et conseiller de la Fnath).