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Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles

Des élus parfois responsables mais rarement coupables

Un article de Nicolas Massol dans le journal Libération du 19 mai 2020

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Depuis une trentaine d’années, les procès des politiques, lorsqu’ils ont lieu, débouchent presque toujours sur une relaxe, notamment dans les dossiers sanitaires. Le procès sans cesse avorté de l’amiante reste le symbole de ce trou noir du droit français.  

En temps de crise sanitaire comme de catastrophe naturelle, les plaintes contre les responsables politiques ont beau être semées par dizaines, la moisson des condamnés reste plutôt maigre. Ces trois dernières décennies, on les compte sur les doigts d’une main. Parmi les ministres, on ne trouve guère qu’Edmond Hervé, secrétaire d’Etat à la Santé entre 1983 et 1986, condamné par la Cour de justice de la République (CJR) dans l’affaire du sang contaminé… mais dispensé de peine. « La cour a manqué de courage : ni le courage de me relaxer totalement ni le courage de me condamner réellement », lâcha le lointain prédécesseur d’Olivier Véran, à la sortie de son jugement, en 1999 - plus de dix ans après les faits. La CJR a néanmoins trouvé la force de relaxer Laurent Fabius, Premier ministre, et Georgina Dufoix, ministre des Affaires sociales.

Loin des grands serviteurs de l’Etat, côté élus locaux, la récolte n’est pas plus abondante. On pense à l’ex-premier édile de La Faute-sur-Mer, René Marratier, jugé responsable de la mort de 29 personnes sur sa commune lors de la tempête Xynthia, en 2010. D’abord condamné à quatre ans de prison ferme pour homicides involontaires (une première pour un élu), sa peine fut réduite en appel à deux ans avec sursis, ainsi qu’à l’interdiction d’exercer toute fonction publique. Pis, il fut ensuite relaxé au civil et dispensé de payer des dommages et intérêts aux victimes sur ses deniers personnels. Les manquements du premier magistrat de La Faute-sur-Mer n’étant pas considérés comme «détachables» de son service, ils engagent donc la commune. C’est à cette dernière, jugée responsable du sinistre - avec l’Etat et un syndic local - d’indemniser les victimes. « Honteux, s’indigne Corinne Lepage, avocate des parties civiles. Ce sont les contribuables de La Faute, donc les victimes, qui participent à leur propre indemnisation ! » Comment expliquer cette relative clémence de la justice ? Dans le cas de l’ancien maire de La Faute-sur-Mer, la raison est claire, selon Corinne Lepage. « René Marratier a bénéficié d’une campagne de soutien incroyable de la part de ses homologues maires, c’était du corporatisme, rumine l’ancienne ministre de Jacques Chirac. Par ce jugement, la chancellerie a voulu apaiser la colère des élus.»

Pour les décideurs au plus haut niveau de l’Etat, c’est plus compliqué. Dans les scandales sanitaires, comme le sang contaminé, le Mediator ou l’amiante, courant souvent sur des années voire des décennies, les dossiers sont complexes, les responsabilités enchevêtrées. Et les informations judiciaires à rallonge. François Desriaux, cofondateur de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva), en sait quelque chose. « Nous avons déposé notre plainte fondamentale en 1996, se souvient-il. Il n’y a toujours pas eu de procès depuis, et le combat risque de s’arrêter, faute de combattants.»

En cause, l’insuffisance des moyens de la justice. « Même quand le sujet était à l’agenda des politiques, j’ai toujours manqué d’officiers de police judiciaire pour mener mon enquête », se plaint aujourd’hui Marie-Odile Bertella-Geffroy, juge d’instruction dans les dossiers du sang contaminé et de l’amiante. C’est après cette dernière affaire qu’est créé, en 2001, un pôle de santé publique au sein des parquets de Paris et de Marseille. Mais loin d’être assez doté, le pôle s’est révélé une coquille presque vide. Pour François Desriaux, les politiques n’ont jamais été très pressés de voir leurs pairs déférés en correctionnelle. « Il y a toujours eu une réticence de la part des gardes des Sceaux à vouloir un procès pénal, regrette le vice-président de l’Andeva. Pour eux, l’amiante était comme une catastrophe naturelle : il fallait indemniser, mais il n’y avait pas de responsables

A cela s’ajoute une difficulté. « Le droit pénal est d’application stricte », rappelle Eric Alt, vice-président d’Anticor. Avant de poursuivre une personne, il faut que tous les éléments soient caractérisés, ce qui rend la tâche ardue dans les dossiers sanitaires. « Il est facile de voir la responsabilité d’un lampiste, estime le magistrat, mais c’est une autre affaire de saisir la responsabilité de celui qui a placé les acteurs de base dans une situation de contrainte. » Et de citer l’exemple Fabius dans le sang contaminé. « On n’a jamais pu prouver qu’il avait bien pris connaissance du fameux "bleu de Matignon", le document le mettant au courant de l’existence de sang contaminé », regrette encore Edmond-Luc Henry, alors président de l’Association française des hémophiles.

Impasse pénale ? Pour nombre d’élus, ce n’est pas devant un tribunal correctionnel que les décideurs doivent répondre de choix politiques. Au pouvoir des juges, le président du Sénat, Gérard Larcher (LR), préfère celui du Parlement. Une commission d’enquête parlementaire doit ainsi voir le jour au Sénat à la fin juin pour interroger l’exécutif sur sa gestion de la crise. Corinne Lepage reste sceptique : « Beaucoup de décideurs traitent par-dessus la jambe les sujets sanitaires ou environnementaux. Il n’y a que le pénal qui puisse faire bouger les gens et les inciter à être vertueux

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