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Le blog de l'Andeva

Les Grands Récits : l'Odyssée du Clémenceau

3 Août 2020, 10:28am

Le Clemenceau, souvent surnommé familièrement « Clem » dans la marine, fut le 6ème porte-avion entré en service dans la marine française mais seulement le 2e construit en France (après le Béarn) et le 1er conçu dès l'origine comme tel. Resté en service du 22 novembre 1961 au 1er octobre 1997, il constitua, en même temps que le Foch, son jumeau mis en service un an après lui, la pièce maîtresse de la marine nationale. Mais les meilleures choses ont une fin et au bout d’une longue carrière qui l’aura vu parcourir plus d’un million de miles nautiques sur toutes les mers du globe, le Clémenceau a été désarmé en 1997. C’est le début d’un feuilleton de plusieurs mois qui s’est joué entre septembre 2005 et février 2006 et dans lequel l’Andeva a joué un rôle majeur.

Désamianter un porte-avions de 24 200 tonnes est une opération longue et complexe. C’est une activité à haut risque qui nécessite des opérateurs formés et expérimentés et une maîtrise d’œuvre compétente.

Le Clémenceau est d’abord vendu à une société espagnole. Cette dernière souhaite le faire démanteler en Turquie. La tentative avorte. L’État français exige que le démantèlement soit réalisé dans un des pays de la communauté européenne.

Une décision contestable

Le désamiantage est finalement commencé en France. Mais démanteler un navire de cette taille qui contient de grandes quantités d’amiante pose des problèmes difficiles. D’un point de vue financier la solution la moins coûteuse est d’exporter le risque vers des pays à bas revenus. Le ministère de la Défense décide donc qu’il sera terminé en Inde, sur la plage d’Alang. Officiellement ce désamiantage partiel concerne 22 tonnes d’amiante mais la quantité réelle est sans doute bien plus importante. De plus, le ministère sait très bien que n’existe dans ce pays ni les lois ni le contrôle social susceptibles de garantir la sécurité des travailleurs contre le risque amiante.

D’un point de vue éthique cela revient à considérer qu’il est acceptable de fabriquer des victimes de l’amiante loin de chez soi et que la vie humaine n’a pas le même prix en Europe ou en Asie. C’est pourquoi, le 1er septembre, l’Andeva se manifeste pour demande au gouvernement que le désamiantage soit effectué en France dans a totalité.

De plus, ce transfert d’un navire pollué en Inde est une opération illégale, tant par rapport à la convention de Bâle qui interdit l’exportation de déchets dangereux que par rapport à la réglementation communautaire qui interdit d’exporter des déchets dans des pays tiers, lorsqu’il est possible de procéder aux opérations de démontage dans le pays d’origine. C’est une violation manifeste par l’État du principe de proximité.

Le Clémenceau largue les amarres

Et pourtant, le 31 décembre 2005, le Clémenceau part pour Alang, malgré les réserves du comité de surveillance des déchets dangereux de la Cour suprême Indienne qui qui recommande de ne pas accueillir le navire sans certitudes sur la quantité d’amiante encore à bord. Mais la navigation va essuyer de sérieux grains, autant politique que médiatiques.

L’Andeva et le Comité anti-amiante Jussieu demandent à Jacques Chirac d’intervenir pour mettre un terme à cette opération « absurde, illégale et inadmissible ». Mais le chef de l’état de se révèle dur d’oreille.

Le 20 janvier, l’Andeva tient une conférence de presse en compagnie de Greenpeace, du Comité anti-amiante Jussieu, de Ban Asbestos, et de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme. Des victimes et représentants des cinq associations s’invitent à l’Élysée. Venus de Dunkerque, Saint-Nazaire et du Havre, des militants de l’Andeva, anciens des chantiers navals et des arsenaux, connaissant bien les navires, contestent les mensonges officiels sur la quantité d’amiante. Le Journal du Dimanche reprend leurs déclarations.

Le 1er février parait le résultat d’un sondage effectué à la demande des cinq associations. Il apparaît que plus de la moitié des Français (54%) est choquée que l’ex-porte-avions aille en Inde. A la question : Faut-il rapatrier le Clemenceau en France pour le désamianter ? 68% des 1000 personnes interrogées répondent oui. Et 84% estiment que les déchets toxiques et l’amiante devait être traités en France ou dans un autre pays industrialisé.

Le 2 février, le Tribunal de Grande Instance de Versailles déboute l’État français qui demandait l’annulation de la mission d’expertise obtenue par les associations. Info à la presse.

Entre temps, le soupçon grandit sur le tonnage réel d’amiante. L’Andeva et le Comité anti-amiante orientent les journalistes vers les entreprises qui peuvent estimer la quantité d’amiante sur le Clemenceau... Toute la presse en parle, de L’Humanité au Figaro, en passant par Le Monde, Libération, le Journal du Dimanche ou Le Parisien. L’affaire fait la Une du Monde. Libération interviewe le responsable d’une société qui était candidate pour désamianter le navire en France. Ses propos démentent les affirmations du gouvernement qui prétendait n’avoir trouvé aucune entreprise française ou européenne pour réaliser cette opération.

Le 8 février, la presse publie un appel au Président de la République signé par des parlementaires, des responsables syndicaux et associatifs, des scientifiques et des artistes à l’initiative de l’Andeva, du Comité anti-amiante de Jussieu, de Greenpeace, de Ban Abestos et de la FIDH. Les 100 premiers signataires demandent à Jacques Chirac « d’éviter une catastrophe humaine et écologique » en décidant de rapatrier le Clemenceau en France où il pourra être nettoyé « dans des conditions respectueuses de la santé des salariés et de l’environnement ».

Les enjeux de ces actions vont bien au-delà de la seule question du Clémenceau. L’évolution de la réglementation internationale prévoit le remplacement des navires à simple coque par des navires à double coque. La question du démantèlement et du désamiantage concerne non pas un seul mais des milliers de navires en fin de vie. Ce problème se pose en France et dans le monde entier. Tous les grands pays sont donc placés devant un choix : soit privilégier le gain financier en exportant le risque dans des pays pauvres, soit détruire eux-mêmes leurs déchets sur place avec des garanties de sécurité.

Le rapport de forces se rééquilibre

La Cour d’appel de Paris reconnait finalement le droit de l’Andeva à s’opposer au transfert du porte-avions en Inde et a oblige l’État à produire le contrat de désamiantage

Elle déclare recevable l’action de l’Andeva et de Greenpeace s’opposant au transfert du bâtiment en Inde pour une opération de désamiantage, quand bien même « les personnes qui seront amenées à traiter l’amiante ne se trouvent pas sur le territoire français ». Elle ordonne à l’État et à la société SDI de produire le contrat de désamiantage du porte-avion sous astreinte de 1500 € par jour de retard.

Les magistrats rappellent dans la motivation de l’arrêt les dispositions de la convention de Bâle « qui n’autorisent les mouvements transfrontières en vue de l’élimination des déchets dangereux qui si l’État exportateur ne dispose pas des moyens pour les éliminer ».

Forte de cette décision, L’Andeva mandate aussitôt un huissier de justice pour récupérer le contrat entre l’État et la société SDI. Elle les assigne devant le tribunal de grande instance de Paris pour demander l’interdiction du départ du Clémenceau. Si d’ici là l’État tente un coup de force en faisant appareiller le « Clemenceau », ce sera un véritable délit de fuite.

La déroute des Indes 

Finalement, devant les questions du commissaire européen qui s’interroge sur la légalité de cette opération, de la Cour Suprême indienne qui pose des conditions et pour finir du Conseil d’État qui suspend son transfert, le Clemenceau fait demi-tour ! Il avait quitté Toulon et traversé - non sans mal - le canal de Suez. Il arrivait non loin des eaux indiennes. Madame Alliot-Marie se frottait déjà les mains. En vain ! L’avarie politique et médiatique est devenue impossible à juguler.

Qui aurait osé parier un sou sur une telle issue, lorsqu’il y a un an l’Andeva engageait ses premières procédures judiciaires ?

La recette du succès tient à plusieurs ingrédients : une bataille judiciaire longue, acharnée, avec des dossiers solidement argumentés ; un travail inlassable d’information en direction des médias et des politiques ; des actions unitaires mettant en commun les forces convergentes de plusieurs associations, avec une mention particulière pour les actions spectaculaires et le travail international de Greenpeace qui ont contribué à médiatiser l’affaire, en brisant le mur de l’indifférence.

 

 

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