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Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles

« Une nouvelle épreuve pour les victimes du scandale de l’amiante »

L’Association de défense des victimes de l’amiante s’élève, dans une tribune au « Monde », contre le pourvoi en cassation du parquet, qui entrave la possibilité d’ouvrir le procès des responsables de la plus grande catastrophe sanitaire que la France ait connue jusqu’ici.

Elle a également adressé un courrier au Procureur général auprès de la Cour de cassation pour demander à ce que celui-ci examine ce pourvoi en urgence absolue, et un second au Président de la république en sollicitant son appui sur cette requête.

 

TRIBUNE

L’espoir des victimes de l’amiante aura été de courte durée. Vendredi 22 janvier, elles apprenaient que la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris infirmait les ordonnances de non-lieu rendues à l’été 2019 par les juges du pôle judiciaire de santé publique de Paris, rouvrant ainsi la voie au procès pénal de l’amiante qu’elles attendent depuis un quart de siècle.

Mais quelques heures plus tard, répondant à une question de l’Agence France presse (AFP), le parquet général près la cour d’appel, dirigé par Catherine Champrenault, annonçait qu’il se pourvoyait en cassation. Et qu’en attendant que celle-ci se prononce, il allait demander également le renvoi de toutes les autres affaires emblématiques de l’amiante (Valéo-Ferrodo, Eternit, DCN…) pendantes devant la cour d’appel.

C’est une nouvelle épreuve pour les victimes. Un pourvoi signifie automatiquement une ou deux années supplémentaires de procédure et, à ce stade, vingt-cinq ans après le dépôt des premières plaintes, cela compromet sérieusement les chances qu’un procès de l’amiante puisse se tenir.

En effet, alors que les faits relatifs à la plus importante catastrophe sanitaire que la France ait connue remontent aux années 1960-1980, le temps est devenu le principal opposant au procès. A force d’ajouter des années de procédure aux années de procédure, nous nous dirigeons tout droit vers le mur de l’extinction de l’action publique : les responsables de la catastrophe auront disparu ou ne seront plus en état d’être jugés.

Acharnement de Catherine Champrenault

Dès lors, l’acharnement de la procureure générale à vouloir s’opposer à la reprise de l’instruction conformément à la décision des magistrats du siège de la cour d’appel et, plus tard, à un renvoi des mis en cause devant un tribunal correctionnel, est injustifié et injustifiable pour au moins deux raisons objectives.

La première est liée à la fonction même du ministère public, qui est chargé de défendre l’intérêt de la collectivité et la loi. C’est le ministère public qui requiert et qui, traditionnellement, est à l’origine des poursuites. Pas dans le cas de l’amiante ni, hélas, de la majorité des dossiers de santé publique, comme le montrent les affaires du chlordécone, du sang contaminé, de la vache folle…

Le parquet agit ainsi à contre-emploi, multipliant les procédures dilatoires pour retarder ou empêcher le renvoi des responsables de ces catastrophes devant un tribunal correctionnel. Alors que les premières plaintes ont été déposées en juillet 1996, les victimes, l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante (Andeva) et ses branches régionales, ont dû en permanence batailler pour que l’instruction ne s’enlise pas, pour que le pôle judiciaire de santé publique puisse s’en emparer et conduire une instruction centralisée et spécialisée.

Souvenons-nous des nombreuses récriminations de la juge Marie-Odile Bertella Geffroy contre l’insuffisance de moyens qui lui étaient attribués, ou contre les obstacles mis sur sa route par le parquet.

La seconde raison tient dans la motivation de la décision de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris datée du mercredi 20 janvier sur le dossier Everite, du nom de cette entreprise d’amiante-ciment de Seine-et-Marne qui a contaminé, empoisonné et tué de très nombreux ouvriers.

Un désaveu cinglant

Cette décision est, comme l’on dit dans le langage courant, sans appel ! Elle valide en tout point l’analyse criée sur tous les tons par les victimes depuis trois longues années et constitue un désaveu cinglant de celle soutenue par le parquet et par le pôle judiciaire de santé publique.

Sur le plan scientifique d’abord, les magistrats de la cour d’appel confirment l’erreur d’interprétation commise par le parquet et par le pôle judiciaire dans la lecture d’un rapport d’expertise judiciaire.

Contrairement à ce qu’ils soutenaient, « le rapport d’expertise ne dit pas qu’il n’y a pas de date précise de contamination mais que dans les modèles de risque sans seuil, la période d’exposition, la période de contamination et la période d’intoxication coïncident. C’est la période d’exposition qui doit être considérée comme le laps de temps pendant lequel la personne a été exposée à l’agent toxique, contaminée et intoxiquée », peut-on lire dans l’arrêt.

Or, s’il y a bien une chose que l’on connaît avec certitude et qui figure dans le dossier de chaque victime, c’est la période d’exposition qui correspond à sa date d’entrée et à sa date de sortie de l’usine. Il est donc faux de soutenir qu’il ne sera pas possible d’établir le lien de causalité entre la commission d’acte délictueux par les responsables de l’usine et le dommage pour chaque victime.

Evidences scientifiques et juridiques

Sur le plan juridique ensuite, la cour d’appel balaye l’argument selon lequel la pluralité des directeurs qui se sont succédé à la tête de l’établissement pendant la période d’exposition rendrait impossible la détermination de l’incidence directe sur la victime des actes que chacun a accomplis et ferait donc obstacle aux poursuites à l’encontre de chacun d’eux. Il est de jurisprudence constante que la responsabilité édictée par le code pénal peut être cumulative, comme le rappellent les magistrats de la cour d’appel dans leur arrêt du 20 janvier.

Face à ces évidences scientifiques et juridiques, confirmées par la cour d’appel de Paris, nous craignons que le pourvoi en cassation sonne comme le coup de grâce sur un procès de la plus importante catastrophe sanitaire qu’ait connue la France.

Dans cette perspective et pour éviter à tout prix un naufrage judiciaire définitif sur le dossier emblématique des affaires de santé publique, l’Andeva demande solennellement à François Molins, procureur général près la Cour de cassation, que celle-ci examine ce pourvoi en urgence absolue afin de ne pas perdre toutes les chances que les responsables de cette catastrophe puissent être jugés dans des délais raisonnables.

Nous faisons cette démarche au nom des cent mille morts de l’amiante. Rappelons-le, cette catastrophe était évitable, au moins dans son ampleur et sa durée. Ce serait un déni de justice que ses responsables n’aient jamais à s’expliquer.

 

Les signataires : François Desriaux, vice-président de l’Association nationale de défense des victimes de l’amiante; Sylvie Topaloff, Jean-Paul Teisssonnière et Michel Ledoux, avocats des victimes de l’amiante et de leurs associations.

 

 

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