Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles
Une émission de la télévision belge RTBF a soulevé le problème encore très méconnu de la présence d’amiante dans les canalisations d’eau et de ses effets sur la santé des consommateurs. De nombreux intervenants, médecins, politiques, associatifs, passent devant la caméra d'Elisabeth GROUTARS et Julien MONFAJON pour tenter de prendre la mesure du problème. On retrouve notamment un témoignage de Eric Jonckheere, président de l’association Belge ABEVA et grand ami de l’Andeva qui dresse un tableau de la présence d’amiante en Belgique, le pays qui a le plus utilisé ce matériau en Europe.
L’enquête montre que si on dénombre seulement 460 mètres de conduite en amiante ciment dans la l’agglomération Bruxelloise, il s’en trouve près de 3000 kilomètres en Wallonie, soit 11% du réseau total administré par la Société Wallonne des Eaux (SWDE). L’exemple est donné de la commune de Frasnes-Lez-Anvaing dont le réseau constitué à 81% de tuyaux amiantés, un fait totalement ignoré par les habitants et les bourgmestres des deux communes. Un contrôleur du chantier des eaux explique que les emplacements de ces conduites sont tout à fait connus de ses services mais que la priorité est donnée au bon fonctionnement du réseau et au colmatage des fuites plutôt qu’au remplacement des tuyaux d’amiante.
La question des risques que cela représente pour la population est ouverte. Le témoigne daté d’un ancien directeur d’Eternit qui évoque le « mariage parfait du ciment et de l’amiante » et sa prétendue indissolubilité ne rassure pas vraiment. Surtout lorsqu’on sait que les prélèvements réalisés par la SWDE dans plusieurs communes ont révélés des chiffres très élevés. Ainsi, 3 500 000 fibres par litre d’eau à Hannêche, dans la commune de Burdine, et plus de 2 200 000 à Couvin, chiffres provoquant la sidération d'un spécialiste d'un laboratoire Suisse sollicité pour l'occasion.
On découvre à cette occasion qu’il existe deux types d’eau : la douce et la dure. La première est acide et abime beaucoup plus rapidement les canalisations que la seconde, plus chargée en calcaire. Et les deux communes citées plus haut pour leur haut niveau de fibres sont pourtant alimentée par l’eau dure.
Sollicitée pour une interview, la SWDE explique préférer s’en tenir à de la communication écrite en raison du sujet qu’elle considère trop complexe pour être bordé face caméra.
Qu’en est-il maintenant des risques posés par un tel niveau de fibres dans l’eau potable ? Pour l’OMS, les risques d’effet néfastes sur l’organisme ne sont pas avérés. Mais le débat est encore ouvert car tous les scientifiques ne sont pas sur la même ligne. Ainsi, le professeur de Santé Publique américain Arthur FRANK (université de Drexel) considère que la littérature scientifique à ce sujet n’est pas encore cohérente et que les études divergent par leurs conclusions. Un certain nombre d’entre elles montrent que l’amiante ingérée peuvent provoquer certains types de cancers. Pour lui, ce serait une erreur de ne pas s’en préoccuper. Rappelons que les Etats Unis est le seul pays a avoir fixé une norme pour l’amiante dans l’eau. Celle-ci est de 7 millions de fibres par litre, chiffre que le Pr FRANK trouve beaucoup trop élevé.
De son côté, l’Agence française de sécurité sanitaire a publié un rapport très attendu en 2021. Si elle n’a pas pu établir de lien entre l’ingestion de fibres et l’apparition de cancers, elle recommande cependant de poursuivre les recherches, considérant qu’un effet négatif pour la santé ne peut être écarté.
Le professer Di CIAULA, spécialiste en gastro-entérologie de l’hôpital Universitaire de Bari, est beaucoup plus catégorique. Lui n’a aucun doute sur le rapport être l’ingestion des fibres et l’apparition des tumeurs de l’estomac, du système digestif et du colon. Il cite un certain nombre d’études qui lui semblent confirmer son diagnostic. Il s’inquiète également de voir certaines fibres traverser le placenta des femmes enceintes.
Il rappelle que les enfants boivent en moyenne 6 fois plus d’eau que les adultes ; si on ne change pas les canalisations, cette ingestion massive risque d’avoir des conséquences très prématurées. Vito TOTIRE, le président de l’association des exposés à l’amiante de Bologne souligne que, dans sa ville, il reste encore 1600 kilomètres de canalisations d’eau potable en amiante ciment, soit le quart du réseau des distribution. Il souhaite que ces canalisations soient changées le plus vite possible.
C’est ce qui s’est fait un peu plus au nord, à Carpi, où les 15 kilomètres de canalisations qui acheminent l’eau à la ville ont été changées suite à un tremblement de terre en qui a endommagé le réseau en 2012. A l’époque, on avait relevé plus de 200 000 fibres par litres, ce qui reste bien moins qu’en Belgique. Prix des travaux : 15 millions d’euros. C'est cher payé, mais les canalisations d'amiante, à Carpi, c'est fini.
De retour en Belgique, Elisabeth GROUTARS se rend chez « Inter Environnement Wallonie » pour s'informer sur la durée de vie des canalisations en amiante ciment. Des études montrent qu’elles commencent à se dégrader après 50 ans. En, 2019, nous dit Sarah DE MUNCK, chargé de mission santé à l’IEW, 0.4% du réseau a été changé. A ce rythme, cela prendra deux siècles supplémentaires pour tout remplacer.
D’autant qu’en octobre 2021, le parlement Européen s’est lui aussi inquiété de la présence des conduites en amiante et considère que celles-ci ne devraient plus être en place.
Pour le gastro-entérologue belge Luc COLEMON, co-fondateur de « Stop Cancers Côlon », il est urgent de produire de nouvelles études sur le sujet afin de documenter un lien potentiel entre l’ingestion des fibres et le cancer du côlon, l’un des plus répandus avec celui du poumon. Pour lui, les études actuelles sont trop limitées et il faut les intensifier. Mais il considère lui aussi qu’on ne peut pas mettre le sujet de côté.
Pour d’autres, on ne peut pas attendre que les études tranchent définitivement et l’urgence est de remplacer les canalisations. Mais cela représente des coûts énormes et beaucoup de politiques hésitent à les engager.
Vous trouverez ci dessous le communiqué de presse de l'ABEVA du 8 février 2022.