Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles

Delphine Serre : "Le contentieux des AT-MP souffre d'un manque de moyens et d'une méconnaissance certaine"

Delphine Serre à l'AG de l'Andeva en juin 2022 à Paris.

Delphine SERRE, sociologue à l’université Paris Cité, était présente à l’assemblée générale de l’Andeva en juin 2022 à Paris. Elle y a commenté les résultats de son étude sur le fonctionnement du contentieux des accidents du travail et des maladies professionnelles. Elle s’est intéressée au fonctionnement de cette justice particulière avec un juge et des assesseurs et qui, de par la richesse des affaires présentées, donne à voir sous un angle inédit le monde du travail, un monde qu’aucune littérature n’avait réellement explorée à l’exception des enquêtes sur l’amiante d’Emmanuel Henry.

C’est après une rencontre avec Morane Keim-Bagot, maitre de conférences en droit, qu’elles décident ensemble de monter cette étude avec le double regard d’une juriste et d’une sociologue. En même temps, une enquête « Contentieux social » lancée par le ministère permet de récolter 11 000 décisions rendues par les TASS sur un mois. Une mine d’informations !  

Après observé des d’audiences dans huit tribunaux différents, Delphine Serre analyse les données statistiques issues de issues de l’enquête « contentieux social » ainsi qu’une série de jugements sur les demandes d’AT-MP. Elle réalise aussi des entretiens avec des juges, des assesseurs, des représentants des caisses et des avocats de salariés en demande.

Elle constate que les juges ont souvent des profils et des parcours antérieurs très variés. Ils n’occupent souvent ce poste qu’à temps partiel et exercent en parallèle dans une autre fonction. Même si les postes à plein temps ont augmenté du fait de la multiplication des contentieux. Il y a également moins de femmes que dans les autres Cours du fait qu’une partie d’entre eux sont des magistrats honoraires, donc issus d’une génération ou les femmes étaient moins présentes.

Autre constat : dans ces affaires, les juges font souvent face à des justiciables démunis. La moitié des salariés n’est pas assistée par un avocat et arrive à l’audience sans la moindre pièce. Compréhensifs, les juges n’hésitent pas à décider des renvois pour que le salarié puisse alimenter son dossier ou contacter un avocat. Dans certains cas, ils vont jusqu’à reformuler ou suggérer des demandes.

Quant aux assesseurs, ce sont des juges non professionnels qui peuvent représenter les salariés ou les employeurs. Leur présence reflète le paritarisme de la Sécurité sociale et vise à impliquer les citoyens dans l’exercice de la justice. Peu formés en Droit, ils se sentent parfois en manque de légitimité et dominés par les juges.

Delphine Serre considère que les justiciables et les caisses ne jouent pas à armes égales. En effet, ces dernières sont souvent représentées par des juristes issus de leurs propres services juridiques. Ce sont des véritables experts du contentieux social, aussi habiles dans la plaidoirie que dans la rédaction des conclusions. Ils appartiennent à l’institution qu’ils représentent et ont accès à toutes les ressources nécessaires. Ils sont ce que Marc Galanter appelle des « joueurs répétés », contrairement aux plaignants qui restent des « joueurs occasionnels ».

Heureusement, il arrive que les représentants des caisses adoptent à l’audience une posture compréhensive en expliquant les règles sur lesquelles se fondent leurs décisions. C’est ce que Delphine Serre appelle « la pédagogie du refus », qui permet d’atténuer la violence du refus. Il arrive aussi que l’on en profite pour culpabiliser le plaignant en l’accusant d’être à l’origine de son échec, du fait de la construction malhabile de son dossier.      

Delphine Serre constate que les associations se trouvent assez rarement aux côtés des plaignants lors des audiences. Les associations, comme les syndicats, ont plutôt tendance à s’en remettre aux avocats et à intervenir en amont du contentieux. Pour ce qui concerne les avocats, ce sont souvent des généralistes, ou des spécialistes du Droit du travail qui n’ont pas forcément d’appétence pour le Droit de la sécurité sociale. Outre le fait d‘être peu rentables, ces contentieux impliquent une charge émotionnelle importante. Les contentieux sociaux sont donc souvent gérés par des petits cabinets qui tranchent avec les cabinets bien plus organisés qui interviennent aux côtés des employeurs.   

Delphine Serre a remarqué que les accidents professionnels sont davantage reconnus pour les ouvriers atteints de séquelles physiques. Dans leurs cas, les juges font preuves d’une plus grande souplesse. Quand ces travailleurs manuels sont d’origine étrangère, ce biais s’accentue car ils sont supposés pâtir d’un accès plus difficile à la justice. Tout cela est cependant limité aux cas d’accidents du travail et ne se remarque pas s’il s’agit plutôt d’affaires de maladies professionnelles régies par un Droit plus codifié et rigide.

Pour finir, elle a constaté que les femmes obtiennent moins souvent gain de cause que les hommes. La ségrégation sexuée qui existe toujours dans la répartition des emplois et des conditions de travail joue contre elles. A situation égale, les femmes se retrouvent plus souvent dans des conditions de travail isolées, et donc dépourvues de témoins qui les aideraient à établir la matérialité des faits. Elles sont aussi moins syndiquées ce qui limite leur accès aux fiches descriptives des postes pourtant essentielles à la reconnaissance des TMS. Les femmes sont aussi plus souvent assignées à des métiers répétitifs dans lesquels il est difficile de déterminer un évènement soudain à l’origine de l’accident. Sans parler des stéréotypes qui veulent que les femmes soient plus fragiles et qui nuisent considérablement à la reconnaissance de leurs maladies psychiques. Il existe heureusement des améliorations. Dans l’aide à domicile notamment, on note une augmentation sensible du nombre de reconnaissances.

Malgré la réforme de 2016 qui a doté la justice de sociale d’une plus grande reconnaissance et légitimité, le contentieux social pâtit encore de fortes inégalités entre les juridictions, d’un manque de moyens et d’une trop faible spécialisation de la part des différents protagonistes. Il s’agit d’un contentieux vaste et complexe qui confronte les juges à des justiciables démunis. Il revient donc aux juges de réussir la difficile mission d’articulation du juridique et de l’humain.      

Article construit à partir d’un entretien donné à la Semaine Sociale Lamy.      

 

Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article