Actualité de l'Andeva, l'association nationale de défense des victimes de l'amiante et autres maladies professionnelles
Communiqué de presse ANDEVA, le 9 juin 2023
La justice française est incapable de juger au pénal les responsables des 100 000 morts de l’amiante et ceux d’autres catastrophes sanitaires. L’Andeva redemande la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les raisons de ce fiasco.
Le 7 juin 2023, la cour d'assises de Novare a condamné l’industriel suisse Stephan Schmidheiny, ex-propriétaire de l’usine d’amiante-ciment Eternit de Casale Monferrato, À 12 ANS DE PRISON FERME pour homicide involontaire avec circonstances aggravantes. Le procureur avait requis la réclusion criminelle à perpétuité . L’acte d’accusation mettait en cause la responsabilité du milliardaire suisse dans la mort de 392 victimes professionnelles et environnementales, toutes décédées d’un mésothéliome, un cancer spécifique de l’amiante.
La Cour d’Assises a aussi infligé à Schmidheiny une interdiction d’exercer une charge publique pendant 5 ans en Italie et le paiement d’environ 100 millions d’euros aux parties civiles : 50 millions d’euros pour la commune de Casale Monferrato, 30 millions pour la présidence du conseil des ministres ainsi que des provisions à valoir sur des actions judiciaires futures au civil qu’engageront des proches des victimes, des associations et des organisations syndicales.
Ce procès « Eternit bis » aura duré deux ans. Le 7 juin 2023, après 42 audiences, le Président de la Cour d’Assises a donné lecture du jugement. Durant plus d’un quart d’heure, devant une salle pétrifiée où s’entassaient debout des juges, des avocats, des familles, des militants associatifs et syndicaux et des journalistes, il a lu, un par un, l’interminable liste des noms des 392 victimes décédées qui figuraient dans l’acte d’accusation. Pour les habitants de Casale présents à l’audience, chacun de ces noms évoquait le visage d’un proche, d’un ami, d’un collègue ou d’un voisin qui s’ajoutait à tant d’autres visages de disparus, tués par l’amiante d’Eternit…
Ce procès aura donné lieu à d’âpres controverses juridiques et scientifiques.
Les avocats de la Défense ont développé une véritable stratégie du doute, contestant systématiquement tel diagnostic ou telle date d’exposition.
Le chef d’accusation initial était l’homicide volontaire, un délit imprescriptible. La Cour d’assises l’a requalifié en homicide involontaire avec circonstances aggravantes. Cette reformulation n’a pas effacé la responsabilité de Schmiedheiny dans cette hécatombe, mais elle a eu automatiquement pour effet de frapper de prescription un nombre important de dossiers où les charges contre Schmidheiny étaient importantes.
Enfin, pour quelques autres cas individuels, Schmidheiny a été mis hors de cause pour des motifs que nous connaîtrons précisément lorsque la Cour rendra publiques les motivations de ses décisions (elle a 90 jours pour le faire).
Quoi qu’il en soit, ne perdons pas de vue l’essentiel :
SCHMIDHEINY A ÉTÉ RECONNU RESPONSABLE ET CONDAMNÉ À 12 ANS DE PRISON FERME.
" Enfin un juge a donné un nom et un prénom à la tragédie de Casale Monferrato " a déclaré le procureur Gianfranco Colace à la fin de la lecture du verdict. « Nous savons maintenant que le responsable est l'accusé que nous avons traduit en justice », a-t-il ajouté, se félicitant de la « quantité impressionnante de preuves réunies au cours de l’instruction ».
Cette décision de justice était très attendue à Casale Monferrato où – 37 ans après la fermeture d’Eternit - l’amiante continue à tuer 50 personnes par an.
Elle était aussi attendue par des associations de victimes de tous les continents. Plusieurs d’entre elles - dont l’Andeva - sont venues par solidarité assister à l’audience. Dès que le jugement a été connu, l’AFeVA, qui défend depuis des décennies les victimes de Casale Monferrato, a reçu une pluie de messages de félicitations de Suisse, de Belgique, de Hollande, des États-Unis, du Canada, du Brésil ou d’Asie…
Il s’agit aujourd’hui d’un jugement en première instance. L’affaire ira certainement en appel, puis en cassation. Il faudra contraindre cet industriel suisse à respecter ces décisions de la justice italienne, ce qui n’est pas gagné. La route est encore longue. Mais cette victoire est un formidable encouragement à continuer le combat pour que les responsables de la catastrophe sanitaire de l’amiante soient jugés au pénal dans tous les pays.
En France, où les premières plaintes au pénal ont été déposées il y a un quart de siècle, des juges d’instruction du pôle de Santé publique rendent des non-lieux et le Parquet fait toujours obstacle à la tenue d’un procès pénal pour juger les responsables.
L’Andeva a rencontré le groupe d’études amiante de l’Assemblée nationale. Au lendemain de cette première rencontre, elle a redemandé la création d’une commission d’enquête parlementaire sur les raisons du naufrage de l‘institution judiciaire dans le dossier pénal de l’amiante, mais aussi dans celui du chlordécone et d’autres catastrophes sanitaires.