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Le blog de l'Andeva

Les grands récits - Andeva VS Canada : 2ème partie

23 Août 2022, 14:01pm

Cette débandade en forme d’aveu opérée lors de la plainte déposée contre l’Andeva marque le début de la fin pour l’industrie de l’amiante au Canada. Pour l’institut du Chrysotile, l’avenir s’assombrit et l’exploitation de l’amiante entre dans une suite de tourments qui ne cesseront que lorsqu’il jettera définitivement l’éponge. Même s’il faudra encore quelques années – et combien de victimes ? - pour en arriver là.       

En 2007, le Parti libéral du Canada, qui avait toujours soutenu l’industrie de l’amiante lorsqu’il était au pouvoir, demande lui aussi l’arrêt de la production d’amiante. Michael Ignatieff, son nouveau chef, prend clairement position pour l’arrêt des exportations d’amiante canadien. Son argument est simple : « c’est la science qui doit guider nos choix ». Il précise que son parti prendra des mesures pour aider à la reconversion des travailleurs des mines.

En octobre 2008 le Journal de l’Association médicale canadienne titre son éditorial : « La mortalité liée à l’amiante : une exportation canadienne ». Il dénonce l’intervention du Canada à la Convention de Rotterdam pour « protéger l’industrie de l’amiante canadienne, même si cela signifie contribuer à la morbidité et à la mortalité reliées à l’amiante dans le monde en développement ». Parmi les signataires on trouve la Société canadienne du cancer, des syndicats et de nombreuses sommités médicales. 

Fernand Turcotte, professeur émérite de santé publique à l’Université Laval, ne mâche pas ses mots : « On se comporte comme une bande d’hypocrites. On ne veut pas voir cette cochonnerie-là dans nos bâtiments parce qu’elle est dangereuse. Et quand il y en a, on l’enlève. Mais on se retourne et, de l’autre côté, on vend ça au monde en disant que c’est parfaitement sécuritaire ». Propos qu’il réitérera lors des journées internationales de l’amiante organisées à Paris en 2012 par l’Andeva.

Fernand Turcotte à Paris en 2012

Et pourtant, en 2010, contre toute attente et à contre-courant du sens de l’Histoire, le lobby minier de l’amiante tente de relancer l’exploitation.

Les ressources de la mine d’amiante à ciel ouvert de Jeffrey (près de la ville d’Asbestos) étant pratiquement épuisées, la société minière entend maintenant poursuivre son activité en ouvrant une nouvelle mine d’amiante souterraine sur le même site, près de la ville d’Asbestos. Pour cela, elle sollicite du gouvernement québécois une subvention sous forme de garantie de prêt de 58 millions de dollars.

Le ministère des Ressources naturelles du Québec et le ministère du Développement économique font la promotion de ce projet fou, censé permettre d’assurer une production de 200.000 tonnes d’amiante par an pour les 25 prochaines années.

L’Andeva régit immédiatement en allant distribuer le 1er juillet un tract français-anglais de l’Andeva et du Comité anti-amiante Jussieu devant l’ambassade du Québec : « Canadiens ! Laissez votre amiante sous terre ! ». Sur les pancartes on pouvait lire : « Amiante + Canada : Honte ! », « Canada, cesser d’exporter la Mort ! », « Amiante + Canada : les liaisons dangereuses ! »…

Dans un communiqué, les deux associations « expriment solennellement leur indignation devant le cynisme éhonté des industriels miniers canadiens et de leurs complices, les gouvernements canadiens et québécois. ».

Les associations de médecins et de santé publique, la société canadienne du Cancer réagissent également et demandent aux autorités de tirer la conclusion des données scientifiques irréfutables : le Canada doit cesser de produire et exporter son amiante. Ce consensus remarquable est amplifié par la communauté scientifique internationale. Une pétition de médecins et scientifiques du monde entier parvient aux autorités canadiennes. Les revues britanniques Nature et le Lancet ont publient des textes critiquant la position canadienne et ses conséquences dramatiques sur la mortalité dans les pays en développement.

Le début de la fin

La fermeture de la mine « Lac d’amiante » en novembre 2011 constitue une date clef pour la fin de ce combat d’arrière-garde. Ce n’est pas la première fois que la mine cesse ses activités mais cette fermeture semble cette fois-ci définitive. Officiellement elle est la conséquence d’un éboulement survenu en 2010.

En fait l’industrie minière de l’amiante au Canada est dans une situation financière catastrophique. Ce déclin est dû, d’une part à la reconnaissance tardive mais incontournable des dangers de l’amiante qui est maintenant interdit dans plus de cinquante pays et dont l’usage commence à être restreint par la loi même dans les pays les moins soucieux de la santé de leurs travailleurs et, d’autre part, à la concurrence d’autres pays producteurs d’amiante (Russie, Kazakhstan, Brésil) qui produisent l’amiante à un coût bien inférieur.

La mine Jeffrey près d'Asbestos au Québec

Le commerce de l’amiante a beau être un étendard du gouvernement canadien, il a cessé de rapporter de l’argent et devient un gouffre financier. Le gouvernement québécois a beau avoir annoncé l’autorisation de prêt de 58 millions de dollars, il retarde depuis deux ans son octroi effectif, non pas à cause des dénonciations des spécialistes de santé, dénonciations que les gouvernements canadiens et québécois traitent avec un mépris ahurissant, mais à cause des implications financières désastreuses.

Les industriels de l’amiante canadiens ont beau former des cartels d’entraide, continuer à recevoir un soutien scandaleux du gouvernement canadien, ils ne sont plus en situation de justifier les cadeaux fiscaux, subventions déguisées obtenues jadis.

Dans le journal québécois « Le Soleil », Bernard Coulombe président de la mine Jeffrey s’inquiète de la situation avec un cynisme confondant : « C’est un peu comme si on remettait les clients entre les mains de nos compétiteurs de Russie, du Brésil et du Kazakhstan ! »

En octobre 2012, le prêt gouvernemental de 58 millions de dollars, accordé dans un premier temps à la mine Jeffrey, est finalement annulé par le nouveau gouvernement québécois. Dans la foulée, le gouvernement fédéral de Stephen Harper et de son ministre Christian Paradis annonce qu’il renonce à bloquer la prochaine convention de Rotterdam prévue en avril 2013.

Et, cerise sur le gâteau, c’est l’Institut du chrysotile lui-même qui doit fermer ses portes faute de financement. Cette officine de propagande meurtrière créée en 1984 était financée par les
industriels de l’amiante et les autorités canadiennes qui lui ont versé des millions de dollars.

La bout de la piste

La bête remue encore mais la fin semble proche. Ne reste plus qu’à l’officialiser. C’est que demandent l’Andeva, l’Abeva et une vingtaine d’associations d’autres pays dans un courrier à la Pauline Maurois, première ministre du Québec.  

En 2012, Alain Bobbio, secrétaire national de l’Andeva, et Eric Jonckheere, président de l’Abeva qui a vu sa famille décimée par l’amiante pour la simple raison qu’ils habitaient près de l’usine Eternit à Capelle, se rendent au Québec. Au cours de leurs visite dans la ville d’Asbestos, berceau de l’Amiante canadien, ils déposent un texte à la mairie, à l’église et à la maison des syndicats de la ville. Ils rappellent l’amiante importé en France et en Belgique vient essentiellement du Québec. Ils appellent le gouvernement canadien à implantation de nouvelles industries dans cette région et de les aider à construire un avenir sans amiante.

Le point final est placé le 15 décembre 2016, quand quatre ministres du gouvernement fédéral de Justin Trudeau ont tenu une conférence de presse à l’hôpital d’Ottawa pour annoncer que la production, l’utilisation, l’importation et l’exportation d’amiante seraient interdits au Canada en 2018. La nouvelle a été aussitôt saluée par les associations de victimes de tous les continents.

Nous laisserons le dernier mot à Kathleen Ruff dont nous avons évoqué le rôle plus haut :

« La victoire que nous avons remportée est très importante pour les pays pauvres, où l’on continue à importer de l’amiante pour en mettre dans les écoles et dans les maisons. C’est une tragédie. C’est un véritable crime contre l’humanité. Il y a encore aujourd’hui des scientifiques corrompus qui continuent à colporter les thèses sur « l’usage sécuritaire de l’amiante ». Le fait qu’aujourd’hui le Canada reconnaisse qu’il a diffusé des mensonges et annonce qu’il va interdire l’amiante est un message adressé au monde entier. C’est une confession certes très tardive, mais essentielle : enfin le Canada dit la vérité sur l’amiante ! »

 

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