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Le blog de l'Andeva

Le combat des victimes du Chlordécone pour un procès pénal s'intensifie devant la menace d'un non-lieu.

12 Avril 2021, 14:21pm

Un violent débat agite actuellement les Antilles françaises et les problématiques qu’il met en lumière nous sont étrangement familières. Ce sont en effet les mêmes que celles dans lesquelles les victimes de l’amiante se débattent depuis maintenant plus de 20 ans. Il est question d’un poison, le Chlordécone, un insecticide répandu sans contrôle dans l’écosystème martiniquais pendant des décennies et dont les conséquences sanitaires désastreuses continuent à briser des vies malgré qu’il soit interdit depuis le début des années 90. Il est aussi question d’une procédure judiciaire à l’arrêt qui, 15 ans après le dépôt de la première plainte pour mise en danger de la vie d'autrui, menace de se traduire en non-lieu malgré les mobilisations populaires qui s’enchainent et l'évidence des responsabilités.  Après la manifestation du 27 février,  une nouvelle grande mobilisation est prévue le 10 avril en Martinique pour dénoncer un probable déni de justice. 

Le chlordécone, utilisé de façon intensive aux Antilles pour combattre le charançon du bananier, est un pesticide organochloré qui n’a été interdit qu’en 1993. Comme pour l’amiante, cet insecticide avait été présenté comme un produit-miracle. Comme pour l’amiante, les dangers étaient connus de longue date : l’OMS l’avait classé en 1979 comme cancérogène probable. Comme les industriels de l’amiante, les fabricants de ce pesticide connaissaient ses effets ravageurs sur la santé humaine et l’environnement. Le chlordécone avait été interdit aux USA dès 1975 et interdit en France métropolitaine en 1990. Il a cependant continué à être autorisé dans les champs de bananes de Martinique et de Guadeloupe par dérogation ministérielle jusqu'en 1993, date de son interdiction à la vente. On soupçonne cependant que des stocks ont continué à circuler jusqu'au début des années 2000. Le 23 août 2002, une tonne et demie de patates douces contenant des résidus de chlordécone était ainsi saisie à Dunkerque par les services de la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.     

Durant plus de 20 ans, il s’est disséminé dans les rivières, les sols et même dans le milieu marin de Guadeloupe et de Martinique. Ce poison particulièrement résistant en a profité pour contaminer la chaîne alimentaire et plus de 90 % de la population adulte antillaise.

On le soupçonne d’augmenter les risques de prématurité et de troubles du développement cognitif, mais aussi de cancers de la prostate dans les Antilles. Un « désastre sanitaire et environnemental », dans lequel un rapport d’information parlementaire pointait la responsabilité de l’Etat français en novembre 2019. Le ministre de la Santé lui-même admet que c’est « une vraie saloperie qui peut contaminer les milieux aquatiques, les sols, les denrées alimentaires » avec « un effet rémanent pendant 600 ans ».

L’ombre de la prescription

Le 27 février 2021, une grande manifestation a été organisée à Fort de France pour demander un procès des responsables. Car la justice est toujours aux abonnés absents. Une enquête pour « mise en danger de la vie d’autrui » a bien été ouverte en 2007. Mais comme pour l’amiante, elle a été confiée aux magistrats du pôle santé publique de Paris qui à ce jour n’ont procédé à aucune mise en examen. Pire, ils ont réuni les parties civiles le 21 janvier pour leur annoncer une possible prescription de tous les dossiers, qui signerait la fin de l’enquête.

« Œuvrer à ce que l'on puisse comprendre même si tout ne peut pas être sanctionné, voilà le choix qui a été fait par l'autorité judiciaire », se justifie le procureur de Paris Rémy Heitz dans les colonnes du quotidien France Antilles. « Compte tenu des délais de prescription alors en vigueur, à savoir 10 ans pour les crimes et 3 ans pour les délits, la grande majorité des faits dénoncés était déjà prescrite », en 2006 lorsque plusieurs associations martiniquaises et guadeloupéenne avaient déposé trois plaintes pour empoisonnement, mise en danger de la vie d'autrui et administration de substance nuisible.

Interrogé par le journal Le Monde, Raphael Constant, avocat du barreau de Martinique est loin de partager cette vision des choses : « Treize ans après notre première plainte, l’affaire a été dépaysée à Paris - comme toujours – personne n’est mis en examen, nous apprenons que des pièces essentielles du dossier ont disparu et on voudrait nous faire croire que nous avons porté plainte trop tard ! à chaque fois qu’on a demandé à un ouvrier agricole de mettre du chlordécone au pied d’un bananier, et cela s’est produit de bien trop nombreuses fois depuis 1990, c’était un délit et cela doit être poursuivi ! Il s’agit de « mise en danger de la vie d’autrui » et « d’administration de substances nuisibles ». Les gens qui l’ont fabriqué, ceux qui l’ont acheté, ceux qui l’ont vendu, tous savaient que c’était dangereux : il s’agit d’un empoisonnement et il doit être puni. Nous connaissons les responsables, tout le monde les connait. »

Pour Harry Durimel, autre avocat des victimes et ancien porte-parole des verts, « Nous sommes en présence d’une infraction intemporelle car continue et occulte du fait qu’elle ne pouvait être connue des victimes. Le point de départ de la prescription interviendra au moment où cessera la pollution. »

 

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